10 mars 2006

Ces jeunes qui pensent vieux

Excellent billet d'Ivan Rifoul ce matin dans le Figaro: Ces jeunes qui pensent vieux (Le Figaro, 10/03/06)
Ses conclusions sur les jeunes rejoignent les miennes: les jeunes ont "raison d'être déçus d'une société qui, depuis vingt ans, mégote leur place."

On diverge cependant sur le CPE: je pense que c'est une autre invention d'énarque qui rend le marché du travail moins flexible et encore plus complexe, qu'il crée des effets de seuils entre les différents statuts -comme autant de barrières entres les privilégiés du CDI (ou les planques à fonctionnaires). L'auteur vilipende l'atonie de la gauche (mais faut-il s'en plaindre après 14 ans de mitterrandisme économiquement destructeur?), arc-boutée sur la défense des "intérêts égoïstes" et le "traitement social du chômage", expression désignant de nombreuses niches de travail aidé. L'échec des 35 heures a pourtant montré que rationner le travail détruit de la richesse sans créer d'emplois.

Je titrais le 24 Janvier sur "Où sont passés les jeunes français qui en veulent?" Et bien j'ai la réponse: toujours d'après cet article du Fig, 76% des 15-30 ans jugeaient l'an dernier attractif de devenir fonctionnaires tandis que 82% des leurs parents les y encourageraient.

Autant pour l'esprit d'entreprise, cela ne promet guère pour l'avenir... Je reproduis l'article ci-dessous car la mise en page du site passe mal sur Firefox.

Tags: CPE, chômage, emploi, France, jeunes, politiques, économie, société


Ces jeunes qui pensent vieux
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol - 10 mars 2006, (Rubrique Opinions)

Les jeunes ont raison d'être déçus d'une société qui, depuis vingt ans, mégote leur place tout en les flattant. Le jeunisme se révèle comme l'artifice destiné à feindre la modernité. En France, des moins de 30 ans se font ainsi régulièrement balader par la gauche copain-copain : un abus de confiance confirmé, mardi, avec le succès relatif des processions contre le contrat première embauche. Ce faisant, une génération bernée s'active à l'être davantage.

Si les non-diplômés ont tant de mal à trouver un emploi, c'est parce que l'École s'est montrée idéologiquement rétive à l'apprentissage et à l'ouverture sur l'entreprise. Des centaines de milliers de postes sont vacants dans la métallurgie, la maçonnerie, la menuiserie, la serrurerie. Pour ces jeunes, le CPE devrait permettre d'accéder à ces métiers, en laissant à l'entrepreneur la liberté de licencier durant deux ans. Pas de quoi s'étrangler. Les lycéens et étudiants veulent-ils bloquer l'accès au travail à moins lotis qu'eux ? C'est ce qu'ils laissent comprendre, en se faisant manoeuvrer par d'archaïques syndicats soucieux de leurs intérêts égoïstes. La fonction publique, mobilisée mardi, n'est en rien concernée par ce contrat. Mais elle y voit l'inacceptable atteinte à l'État providence, construit sur un Code du travail interdisant la nécessaire flexibilité.

Le CPE, approuvé par les parlementaires, a un mérite : celui de rompre avec un système qui ne fonctionne plus et qui écarte 23% des 15-29 ans d'un marché du travail bloqué par trop de contraintes. Cette politique, parce qu'elle s'inspire d'une timide vision libérale, suffit à la déjuger aux yeux des doctrinaires. Cependant, il n'est plus possible de défendre un système qui exclut les moins formés et fait fuir les plus entreprenants. Des décennies d'éloges du pantouflage ont laissé des traces. L'année dernière, un sondage révélait que 76% des 15-30 ans jugeaient attractifs de devenir fonctionnaires. Cette semaine, une enquête Ipsos montre que 82% des Français encourageraient leurs enfants à entrer dans la fonction publique. C'est ce pays immobile et soucieux de sa retraite qui renoue avec son rituel gauchisant. Mais ce sont des conservatismes qui s'expriment. Ils aggravent la marginalisation des jeunes, en leur transmettant des préoccupations de vieux.

Contre-offensive étudiante

Jusqu'où la France devra-t-elle tomber pour que la gauche se réveille ? Un sondage révèle que plus de trois Français sur quatre considèrent que le pays est dans une phase de déclin. Dans son dernier livre (L'Europe en crise, que faire ? Éditions Clément Juglar) le Prix Nobel de sciences économiques, Maurice Allais, rappelle : «Dans tous les pays du monde la France se distingue par un record incontestable mais désastreux. C'est le pays où l'on entre le plus tard dans la vie active. C'est le pays où la durée de travail est la plus réduite. C'est le pays où l'on prend sa retraite à l'âge le plus faible.»
Sur l'ensemble de ces sujets, l'absence de propositions du Parti socialiste, fer de lance de la contestation anti-CPE, fait douter de sa lucidité. Il ne réagit qu'aux 35 heures, aux emplois aidés, au droit à travailler moins. Sentiment de décrochage aggravé par le vide qui s'installe dans le programme de Ségolène Royal, probable candidate à la présidentielle. Elle admet : «Je n'ai pas à avoir un avis sur tout» (nos éditions de lundi). Mais elle n'en a sur pratiquement aucun sujet, mise à part l'éducation des enfants. Une atonie à l'image de son camp.
Face à ces effacements, la volonté de réforme de Dominique de Villepin mérite d'être soutenue. D'autant que les syndicats ne peuvent se prévaloir d'une représentativité les autorisant à parler au nom de la jeunesse ou des salariés du privé. Or s'exprime désormais, au sein de la majorité, une crainte à l'idée d'affronter une minorité. Le premier ministre se dit prêt à discuter d'un «statut» de l'étudiant afin d'amadouer l'Unef. Mais un recul serait la victoire des brasseurs d'air. D'autant que les étudiants et lycéens ne se reconnaissent pas tous, loin de là, dans ces mouvements téléguidés qui détournent les inquiétudes des jeunes. Mercredi, le nouveau Conseil représentatif national des lycéens a estimé qu'il faut «laisser une chance au CPE, pour voir s'il répond à un problème de l'emploi des jeunes». Un raisonnement de bon sens, soutenu dans de nombreuses universités, de Rennes à Tours en passant par Jussieu (Paris). Et si la contre-offensive venait des étudiants eux-mêmes ?

Refus de voir

Une constatation : le malaise social des jeunes n'est pas propre aux adolescents des banlieues. Ceux-là avaient été excusés par les belles âmes pour leurs razzias de novembre, mises sur le compte du chômage et de la précarité. Mais ce sort est le lot de toute une génération, même si les cités sont touchées plus rudement. Est-ce que les manifestants de mardi ont brûlé des voitures, des écoles, des commerces ? Leur bonne tenue fait ressortir le caractère ethniquo-religieux des dernières émeutes. Aussi est-il curieux d'entendre le discours dominant contester cette évidence. Un aveuglement qui n'est plus de mise aux Pays-Bas. Ce pays, fameux pour sa tolérance, s'est à ce point raidi contre l'islam que la ministre de l'Immigration, Rita Verdonk, en est à réclamer que le port de la burqa dans les rues soit sanctionné et que l'usage du néerlandais soit obligatoire en public. Attitude excessive. Mais le refus de voir est certainement plus dangereux.

Mort d'un modèle

La mort de Philippe Muray, 60 ans : cet écrivain mal connu, étiqueté «réac» par les «mutins de Panurge», dénonçait avec acuité, drôlerie et érudition, le conformisme «citoyen» de l'époque. Un modèle.

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